Interview du Conseiller Principal de Sahara Conservation Fund

Je suis optimiste. Ayant vu le niveau de soutien que les activités au Tchad ont reçu de la part des bailleurs de fonds, notamment, l’Union européenne, la Banque Mondiale, les agences de coopération, l’Agence Française du Développement.

John Newby est l’un des fondateurs du Sahara Conservation Fund. Il en est aujourd’hui le conseiller principal.

APEF : En tant que chercheur et zoologiste, vous avez connu le Tchad à partir des années 1970, notamment sa zone sahélienne. Il s’agit d’une rare mémoire historique pour cette région. Presque 50 ans plus tard, quels sont les changements les plus importants sur les habitats sahéliens et sur sa faune que vous pouvez aujourd’hui remarquer ?

JN : 50 ans c’est beaucoup est c’est peu. Au début j’ai eu la chance de voir le Tchad et sa faune dans une situation assez bonne. Dans les années 50-70, la faune était plus ou moins bien portante. Il y avait un bon réseau d’aires protégées : 2 parcs nationaux (Manda et Zakouma) et 7 réserves de faune soit 9 aires protégées en tout.

J’ai pu voir certaines espèces disparaître de l’état sauvage. Pendant un séjour d’une dizaine d’années dans les années 70, j’ai vu disparaître les éland de Derby, les oryx, les addax, les autruches, etc. C’était un moment bien difficile. Il y a eu une période où la faune était très délaissée. Le pays avait d’autres préoccupations ; c’était un temps des guerres et de bouleversements. 50 ans plus tard, je vois une renaissance remarquable dans le domaine de la conservation de la faune, de la flore et des aires protégées au Tchad.

Aujourd’hui, le système d’aires protégées est dans l’ensemble très bien géré. Il y a des nouvelles aires protégées qui se créent, comme la Réserve Naturelle et Culturelle de l’Ennedi, le parc national de Siniaka Minia, le parc de Zah-Soo, le Parc de Sena Oura, etc. Toutes ces aires ont été créées dans les dernières années. En un mot, il y a une nette renaissance en matière de conservation. Nous assistons au retour des rhinocéros noirs, des oryx, des addax, et bientôt, nous espérons voir le retour d’ne autre espèce  critiquement menacée, la gazelle dama. Je dirais que la situation est en nette amélioration par rapport aux années précédentes.


APEF : Dites-nous, comment est née l’idée du Projet Oryx et quelles sont les avancées majeures après quelques années de mise en œuvre ? 

JN : Le Projet Oryx est né dans les années 80 avec la disparition de l’oryx à l’état sauvage. L’espèce a disparu dans les années 1980, non seulement du Tchad, mais du monde entier. Je suis attaché à cette espèce, c’était mon premier amour au Tchad et me suis donc donné pour défi d’assister et d’aider à son retour et sa restauration, comme élément majeur de la faune sahélienne. Ce n’est qu’à partir des années 2008-2010, qu’une stratégie pour la restauration est concrètement mise en place. Lors d’une réunion tenue à N’Djaména en 2012, que nous avons décidé que c’est au Tchad, que nous tenterions l’expérience de réintroduction des oryx. En 2016, les premiers oryx sont arrivés d’Abu Dhabi avec l’assistance de l’Agence pour l’Environnement d’Abu Dhabi. Après plusieurs années d’activités, il y a aujourd’hui plus de 400 oryx à l’état sauvage au Tchad et qui se portent très bien. Cette réintroduction au Tchad, nous a donné l’expériences nécessaire pour tenter d’autres défis et nous a permis aussi de lancer des opérations similaires pour l’addax, l’autruche et dans un proche avenir pour la gazelle dama.


APEF : Quelles sont les améliorations à apporter et vos perspectives pour l’avenir?

JN : D’abord, il faut consolider et stabiliser les aires protégées. Il faut vraiment mettre tous les efforts et moyens sur les parcelles qui conviennent aux animaux sauvages, que ça soit dans la savane, dans le désert ou encore dans la zone sahélienne. Les aires protégées, les parcs et les réserves, sont des zones plus essentielles que jamais. En dehors de ces espaces, la présence de la faune est très aléatoire ; ainsi il-faut vraiment sécuriser les aires protégées. Pour le cas de la Réserve de Faune de Ouadi Rimé – Ouadi Achim, c’est une réserve de faune créée en 1969, qui était pour l’époque très bien adaptée pour la grande faune sahélienne. C’est une énorme espace qui fait 2 fois la taille de la Belgique et qui convienne parfaitement aux espèces animales qui vivent. Aujourd’hui, cet espace est beaucoup plus occupée. La législation qui couvre l’espace n’est plus adaptée aux réalités de 2021. A ce niveau, il faut une prise des décisions assez radicales pour conserver les acquis en matière de restauration de la faune. Avec l’appui du programme ECOFAC VI et l’Union Européenne, nous devons considérer la création d’un parc national des oryx au sein de la réserve actuelle.


APEF : Quels sont, selon vous, les défis et les perspectives pour la conservation au Tchad d’une manière générale ?

JN : D’une manière générale, le Tchad est un pays en plein développement, il dépend toujours et de façon très directe de ses propres ressources naturelles.

Le grand défi reste et demeure la gestion rationnelle de ces ressources naturelles, afin de ne pas les détruire, d’empêcher la désertification, d’éviter le surpâturage et la mauvaise exploitation des terres et des sols, etc.


APEF : Votre mot de fin.

JN: La politique nationale est très forte et favorable en matière de protection de la nature. Cette politique donne énormément d’espoir parce que sans synergie entre politique nationale et soutien des bailleurs de fonds, ça ne marche pas. Actuellement, la situation est très propice pour avancer dans le bon sens.